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Article paru sur Digital Tribe en Janvier 2020

Le mode de consommation, une affaire politique

C’est bien connu ; quand on atterrit dans un nouveau pays, pour connaître son niveau de développement social, il suffit d’allumer la télé et de regarder quelques spots publicitaires. Le ton auquel on s’adresse au consommateur recèle toute la complexité du système politico-économique local.
Au Maroc, pendant longtemps, la publicité a été purement informative : tantôt musicale ou comique pour marquer les esprits, souvent en français pour dessiner les aspirations du marocain modèle, résolument en arabe littéral pour marquer la gravité et l’urgence. C’est d’ailleurs en arabe qu’est formulé le fameux slogan populaire » حليبنا، زيتنا، سكرنا، بنكنا،… » [zaitONA, sokkarONA, bankONA, halibONA, …] qui légitimait le monopole économique comme un devoir patriote et national.

La digitalisation est venue brutalement changer ce paradigme de centralisation et de réquisition du discours. Le consommateur marocain n’est plus captif de la télé marocaine ou encore celles qu’il peut capter à travers les millions de paraboles qui marquent de moins en moins le paysage urbain.

La digitalisation instaure une dialectique entre le citoyen consommateur et le pouvoir producteur

Les réseaux sociaux lui ont donné accès à des contenus publicitaires sophistiqués qui érigent le consommateur en super héros pour retenir son attention et le fidéliser. Et il prend goût à ces storytellings construits selon la recette hollywoodienne toujours gagnante, qui veut que la marque se présente en guide pour sauver le consommateur (héros) d’une menace à laquelle le produit remédie. Les campagnes de communication sont ainsi des batailles que la marque et le consommateur mènent ensemble pour rendre le monde meilleur. Elles font partie d’un process que la marque met en œuvre et qui permet de teaser répétitivement le consommateur autour du mode d’emploi du produit et d’autres expériences marquantes.

En 2011, quand j’ai lancé BloomingBox, un e-commerce qui proposait un marketing à 360 degrés, les annonceurs m’assuraient que leur cliente, « elle n’est pas sur internet ! ». Ils étaient alors convaincus que les consommatrices prennent leurs décisions sur le point de vente. C’est donc exclusivement là que tout l’effort de promotion était fait. Après de longues années de résistance, confrontés à l’émergence de la concurrence de marques purement digitales, les annonceurs marocains ont cédé à la tendance des publicités incitatives et engageantes sur les réseaux sociaux. Une grande nouveauté pour le consommateur marocain qui se voit représenté avec authenticité. Il gagne du pouvoir : il est écouté, mieux compris, et voit ses exigences respectées à travers le crowdsourcing des idées.

Les annonceurs doivent élever le niveau de leur discours pour répondre aux attentes du consommateur marocain

Cependant, ces annonceurs qui pendant longtemps n’ont pas travaillé leur discours dans l’optique de sublimer le quotidien des marocains en répondant spécifiquement à leurs aspirations, ignorent encore l’idée qu’une stratégie de communication doit répondre à l’impératif d’un idéal.

C’est ainsi qu’ils tombent souvent dans deux pièges destructeurs :

  1. Ou bien leurs campagnes révèlent que leurs objectifs sont purement pécuniaires et ils perdent alors la confiance des générations jeunes prédominantes, à cheval sur les engagements éthiques ;
  2. Ou alors, elles reflètent maladroitement des attributs locaux peu louables. Quelques marques ont notamment surfé sur le matérialisme de la société. Ces campagnes ont effectivement eu le mérite d’interpeller les consommateurs avec des résultats positifs sur le chiffre d’affaires, cependant, elles ont aussi suscité un malaise et un rejet qui menace de s’installer si la marque ne fait pas évoluer son discours positivement.

Il s’agit aujourd’hui de convaincre les annonceurs à franchir le pas pour créer un lien indestructible avec le consommateur en le faisant adhérer à un ensemble de vertus pour lesquelles il est important de se battre ensemble. Un exercice plus complexe qu’il n’y paraît dans un pays en quête d’un contrat social. De là à dire que ce dernier effort de la communauté consumériste contribuera justement à le forger, il n’y a qu’un pas.

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